Le spectacle 2013

Rêve — présentation

Le motif (aussitôt effacé) d’UN RÈVE D’ARAIGNÉE

Le présent spectacle sera de bric et de broc. Il n’aura pas la cohérence voulue d’un projet que j’avais mis en place et pour lequel, à ma grande surprise, je n’ai pas obtenu les droits d’auteur. Il s’agit donc d’une pièce de rechange et l’ambiguïté même de l’expression m’a beaucoup donné à réfléchir. A présent, elle n’est pas pour me déplaire. Conçu durant l’été 2012, « Un rêve d’araignée » fera immanquablement l’effet d’un amalgame et ne tiendra sans doute qu’à un fil. Il tournera autour de notions simples et complexes à la fois comme la présence, l’image, la trace et l’effacement. Il est constitué de trois parties : un préambulemêlant quelques anecdotes et un témoignage, une déambulation sous forme de récit théâtralisé, et un postambule proche peut-être d’un art poétique.

FlyerRevePériodiquement, il est bon d’interroger le sens — les voies du sens — au théâtre. C’est ce qu’opère Un rêve d’araignée, mais sans réfléchir « sur » le jeu, car le questionnement théorique sur scène pourrait s’avérer indigeste. En fait, nous voudrions réfléchir le jeu, transitivement ; ce qui, en d’autres termes, signifie jouer la captation imaginaire ou encore la séduction au sens large du terme. Et puisque notre pièce s’affiche comme un DIT, on la verra s’effacer à mesure en disséminant le sens de l’événement. En somme, ce que nous aurons à vous montrer reviendra à comment ne pas perdre le sens — du moins, une part de celui-ci — alors que la séduction consiste précisément à nous en détourner.

Voici un exemple pour rendre l’argument plus sensible. Imaginez que vous preniez une photographie en flânant dans la rue et que celle-ci vous plaise parce que vous avez l’impression d’avoir capté quelque de chose de très significatif à vos yeux. Puis, un beau jour (pas si beau que ça !), vous vous apercevez que vous vous êtes trompé, que vous n’avez pas capté ce que vous croyiez et qu’il aurait fallu voir tout autre chose… Mais il est trop tard ! Dès lors, le cliché que vous avez pris reflète moins votre pouvoir que votre impouvoir. Ainsi en va-t-il du théâtre qui sans cesse ne tient qu’à un fil, comme la vie elle-même d’ailleurs. C’est cette histoire-là que nous aimerions vous conter, en prenant plaisir à vous faire perdre le fil que vous croyez peut-être tenir. Ce faisant, nous voulons croire que vous trouverez là votre propre plaisir. Bien sûr, le jeu ne finit pas puisque le sens, après tout, n’est qu’une direction, il est ce chemin qui se fait en marchant et dont la trace ne demeure qu’un temps dans nos mémoires infidèles. Au théâtre, on joue à ce jeu-là, et c’est sans doute pour cette raison, qu’on le veuille ou non, qu’il est le plus beau des jeux. Pier-Angelo Vay, ce 24 février 2013.

Rêve — méditation

La marche au théâtre

A la mémoire d’Yves BaudinPour une fois, faire de ce qui n’a jamais été dit ou montré la matière même d’un spectacle. Évidemment, il ne s’agit pas d’exposer sur scène ce qui se passerait hypothétiquement dans des coulisses truquées pour l’occasion. Ce que nous voulons, ce n’est pas l’envers d’un décor, c’est une régression inventive vers une forme de chantier suggérant l’esprit de notre travail. En d’autres termes, une pratique « imaginée » du jeu. Dès lors, Un rêve d’araignéese présenterait moins comme une métaphore du jeu que comme une pratique directe de celui-ci, mais forcément montrée de biais.

FlyerReve2Toute la question, allez savoir, est peut-être déjà contenue dans le titre : « Un rêve d’araignée ». A quoi peut bien rêver une araignée, si elle rêve ? Il va de soi que je l’ignore, mais, pour moi, une araignée rêve à ses fils, et j’en parle au pluriel parce que j’y entends la filiation du fil. Oui, il faut imaginer une araignée prise d’émerveillement pour le fil qu’elle tisse, oublieuse un instant de la proie qui la nourrit. A l’évidence, une métaphore, dira-t-on ? A quoi il faudra répondre : non, un processus. Et le théâtre, demandera-t-on, ne serait rien que ça ? Non, il serait d’abord ça, mais je m’empresserais d’ajouter que l’énoncer ainsi n’offre évidemment aucune garantie de qualité. Car le spectacle en tant que processus reste sans fin à tisser à la manière – enfin, une vraie métaphore ! – d’une araignée qui tisserait sa toile. Avec, comme pire aléa, le fait qu’il s’efface à mesure qu’il se déroule. Le faire d’un spectacle n’est jamais loin de son défaire, mais il comprend un espoir infime. Celui de nous mener un jour vers ce qui sauve, vers la légèreté d’un décentrement. Et lorsqu’il n’y a plus de centre, il convient alors de surveiller les marges, parfois même il faut vouloir y vivre.

Un jour ou l’autre, tout être dit « humain » éprouve le besoin de tendre un fil à une certaine hauteur au-dessus du sol. Qu’il le veuille ou non, il est tenté d’y mettre le pied et d’avancer. Bien sûr, le risque de chuter devrait l’empêcher de se livrer à pareille folie. Il s’élance pourtant… C’est un acte absurde pour le commun des mortels. La voix d’en bas dit : « A quoi bon mesurer ainsi la précarité de l’existence ? Ne la ressentez-vous donc pas suffisamment au quotidien ?… » Mais celui qui marche sur le fil ne se pose pas la question, il n’est porteur d’aucune certitude sinon d’un émerveillement. L’émerveillement vient peut-être de ce que nul ne peut décomposer le mouvement. Lorsque, pour la première fois, le funambule aura atteint l’autre bord, il saura jusqu’à la fin de ses jours combien il est merveilleux de passer de déséquilibre en déséquilibre. Il saura que cela s’appelle marcher ou encore tracer un chemin. Et chemin faisant, il contournera la question qui tue, la question qui produit à coup sûr la chute et qui revient à se demander pourquoi on marche sur un fil.

En bas, il en va tout autrement : le spectateur est inquiet ou interpellé à mesure qu’il décompose les mouvements du funambule et que, pour ainsi dire, il série le temps en bon administrateur de ses jours. Il ne comprend pas qu’au-dessus de lui il y a un être qui vit le temps sans jamais le décomposer – et que c’est uniquement pour cela qu’en permanence il réussit à ne pas tomber. Même quand il se couche sur le fil, les bras en croix, il sait que l’arrêt n’est qu’un cas particulier du mouvement. Mais vu d’en bas, le spectacle nous saisit d’effroi ou nous irrite (une fraction de seconde, on se réjouirait même d’une chute). Alors on en vient à se demander : ce tight-rope walker, comme le dit pragmatiquement la langue anglaise, ce marcheur sur corde raide, ne se livrerait-il pas à un divertissement extrême et donc insensé, ne jouerait-il pas avec la Mort comme personne au monde ? A chaque fois que cette question m’assaille, la même réponse m’est aussitôt donnée : le funambule nous révèle ce que nous avons tendance à oublier, à savoir que nous aussi nous marchons à chaque instant sur un fil tendu au-dessus du vide, en particulier le vide de notre vie confortable et prétendument assurée.

C’est ainsi que le théâtre, comme tout art véritable, nous met à l’épreuve. Au bout du risque, il y a toujours un fil, ou des fils qui sont autant de chemins. Alors, pas à pas jusqu’au dernier, il nous faut avancer tandis que nous revient l’écho d’un vieil haïku de Masoaka Shiki traduit tant bien que mal du japonais :

Long le jour – la barque s’entretient avec le rivage.

J’oubliais : il n’y aura pas la moindre araignée dans notre spectacle. A moins qu’il n’y ait que ça… Et par cette apparente boutade, je peux enfin répondre à une question si souvent posée : à quoi le théâtre peut-il bien servir, en particulier dans un lycée ? A quoi aura-t-il servi ici pendant vingt-sept ans ? Ma réponse tient en quelques mots : défendre, simplement, rudimentairement peut-être, la complexité – et par conséquent aussi l’exigence – de ce qui doit demeurer un art. Oui, même dans un lycée, même dans notre petit théâtre. Cela n’est certes pas simple, ne l’a jamais été, mais nous avons pu y œuvrer en toute liberté, ou du moins tenter d’y œuvrer. Et le premier mot qui me vient est gratitude pour ce travail du soir, de l’ombre et du secret riant où, pour parler comme Beckett, il nous faut à chaque fois « rater encore, rater mieux ».

Pier-Angelo Vay ce 19 février 2013.

Documents joints

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